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Chapter 8 - Ceux qui regardent dans l’ombre

La pièce sentait la fumée froide, la sueur et le métal.

Un néon grésillait au plafond, jetant une lumière blanche et malade sur les visages. Les murs étaient nus, sauf pour quelques cartes de la ville accrochées avec des punaises, des traits rouges reliant des points comme des coupures dans une chair invisible.

Au centre, une grande table.

Sur la table, un ordinateur portable ouvert. L'écran éclairait les traits durs des hommes rassemblés autour.

— Reviens au moment où il court, ordonna le chef sans lever la voix.

Le gars devant l'ordinateur obéit. Il rembobina la vidéo, cliqua, relança.

Sur l'écran, une silhouette capuchée traversait la rue en courant.

Yoongi.

Mais là, il n'avait rien d'une célébrité.

C'était un fantôme pressé, une ombre qui fuyait.

On le voyait se glisser entre les voitures, disparaître derrière un bus, réapparaître plus loin en montant dans une berline noire.

— Stop. Zoom.

Le technicien zooma sur le visage, pixel après pixel. L'image était floue, mais on distinguait le profil, la mâchoire, la forme du nez, les yeux mi-clos.

Un des hommes se pencha.

— On l'a déjà vu, ce visage…

— Normal, ricana un autre.

Il attrapa une télécommande et alluma l'écran accroché au mur.

Une chaîne musicale passait un extrait de concert, un clip coupé en morceaux.

La foule hurlait.

— "BTS ! BTS ! BTS !"

Les sept silhouettes apparurent sur scène, tremblantes de lumière.

Les cheveux colorés, les tenues travaillées, le sourire facile.

Le technicien zappa, trouva une rediff d'interview.

Sept idoles.

Sept sourires.

Et au milieu, un visage.

Même mâchoire.

Même regard.

Même bouche qui se crispait parfois légèrement.

— Stop, dit le chef.

L'écran gela sur l'image de Suga, légèrement tourné vers la caméra, un sourire discret à la bouche.

Le chef se rapprocha. Il posa ses doigts sur la moustiquaire de l'écran, près du visage du rappeur.

— Reviens sur l'autre vidéo.

L'autre écran montrait de nouveau la fuite de Yoongi dans la rue.

— Mets-les côte à côte.

Deux fenêtres.

Deux visages.

Deux mondes.

Mais les mêmes traits.

Les mêmes yeux.

Le même léger pli dans le coin gauche de la bouche.

Silence.

Même les respirations semblaient s'arrêter.

— C'est… commença quelqu'un.

— Oui, coupa le chef.

Le mot claqua comme une gifle.

— Le Mulshigan est Suga. Le gamin de BTS. L'idole que tout le monde adore.

Un rire nerveux éclata chez l'un des hommes.

— C'est une blague… Le roi de la mafia, là, c'est un mec qui fait des cœurs avec ses doigts sur scène ?!

Personne ne rit.

Le chef tourna la tête vers lui avec une lenteur inquiétante.

— Tu trouves ça drôle ?

L'autre avala sa salive, son sourire s'effaçant aussitôt.

— N-non, patron.

Le chef reporta son attention sur les écrans.

— Un monstre qui sait se déguiser en ange…

C'est le pire genre d'ennemi.

De l'autre côté de la ville, dans la lumière

Le dortoir vibrait d'une musique trop forte.

— COUPE ÇA ! hurla Jin en riant, un coussin à la main.

— NOOON ! protesta J-Hope. « Je suis dans le flow là ! »

Jungkook était debout sur le canapé, un micro en plastique à la main, en train d'improviser un rap catastrophique.

— « Mulshigan dans la kitchen, je mange du chicken— »

Jimin éclata de rire si fort qu'il en tomba par terre.

Taehyung filmait tout avec son téléphone.

— « C'est officiel, on poste jamais ça nulle part. »

Au fond, appuyé contre le mur, Yoongi regardait la scène, les bras croisés.

Ses yeux semblaient fatigués.

Mais il souriait.

Un vrai sourire, rare, discret… mais là.

Jungkook le remarqua.

— « Hyung, viens ici ! »

— « Non. »

— « VIENS ! Tu vas pas juste nous regarder comme un vieux grand-père ! »

J-Hope se jeta sur lui pour le tirer par la manche.

— « On veut ton couplet de l'enfer ! »

Yoongi se laissa faire, traîné au centre de la pièce comme un sacrifice volontaire.

Jin leva les mains.

— « PRÊTS ? 3… 2… 1… GO ! »

Jungkook lança un beat pourri avec sa bouche.

Et Yoongi commença à rapper.

Pas en mode scène.

En mode chambre.

En mode "je m'en fous mais j'ai du feu dans la gorge".

Les mots sortaient vite, tranchants, drôles et agressifs à la fois.

Même RM se mit à hocher la tête en mode sérieux.

Jimin hurla :

— « HEEEEEY MAIS C'EST TROP BIEN POUR UNE BLAGUE !!! »

Taehyung sauta sur place.

— « C'EST DU CONTENU EXCLUSIF, ÇA !! »

Jungkook le regardait avec des étoiles dans les yeux.

Pendant quelques secondes, il n'y avait plus rien d'autre.

Juste ça.

Un salon.

Des rires.

Des voix.

Une famille.

Retour au QG du Serpent Noir

Sur la table, des dossiers s'empilaient.

Des photos imprimées.

Les visages de BTS.

Leurs noms.

Leurs trajets.

Les lieux qu'ils fréquentaient.

— Ils sont sept, dit calmement le chef.

— Comme les têtes d'un même dragon, répondit un des hommes.

Le chef posa une main sur la première photo.

RM.

— Leader. Cerveau. Celui qui garde le groupe debout quand tout s'écroule.

Il posa la seconde.

Jin.

— L'ainé. Le visage. Si on le touche en public, c'est une émeute.

La troisième.

Suga.

— Lui, on le laisse pour la fin. On ne brise pas le roi en premier. On le regarde suffoquer.

La quatrième.

J-Hope.

— L'énergie. Le soleil. Si le soleil s'éteint, l'atmosphère devient étrange.

La cinquième.

Jimin.

— Le cœur. Celui qui craque vite. Celui qui pleure. C'est un levier.

La sixième.

Taehyung.

— Celui qui voit tout sans comprendre tout de suite. Instinctif. Dangereux si on le sous-estime.

Enfin, la septième.

Jungkook.

Le chef la garda plus longtemps entre ses doigts.

Sur la photo, le maknae souriait, les yeux plissés, insouciant.

— Lui… c'est le plus précieux.

— Pourquoi ? demanda un des hommes.

Le chef sourit.

— Parce que ça se voit dans le regard du roi. Il le protège comme un petit frère.

Et un roi qui protège trop… ça se paie cher.

Il la reposa au centre de la table.

— On les prendra tous si on peut.

Mais le premier… ce sera lui.

— Et si Mulshigan réagit plus vite que prévu ? demanda quelqu'un au fond.

Le chef haussa à peine les épaules.

— Tant mieux. Ça veut dire qu'il viendra en personne.

Il leva les yeux vers l'écran où une image de Suga sur scène restait figée, micro à la main, foule en délire derrière lui.

— Imaginez la tête du monde quand ils découvriront que leur idole était un boucher.

Mais avant ça… je veux le voir perdre.

Un.

Par.

Un.

Dormir ensemble, sans savoir

La nuit tombait sur la ville.

Dans le dortoir, les lumières étaient plus douces maintenant.

Les rires s'étaient calmés.

Les sept garçons étaient rassemblés sur le sol du salon, chacun avec un coussin, une couverture, une position chelou.

— « Pourquoi on dort tous là, déjà ? » demanda Jin, la tête posée sur le ventre de Taehyung.

— « Parce que c'est cosy », répondit J-Hope.

— « Parce que j'ai pas envie que quelqu'un soit seul ce soir », ajouta Jungkook sérieusement.

Yoongi tourna la tête vers lui.

— « Pourquoi tu dis ça ? »

Jungkook haussa les épaules.

— « Je sais pas. J'ai juste… un mauvais pressentiment ces derniers jours. Comme si quelque chose se préparait. »

Le silence tomba une seconde.

RM enroula mieux sa couverture.

— « C'est juste la fatigue. »

Taehyung murmura dans le vide :

— « Ou alors c'est ton intuition… »

Jimin donna un léger coup de coussin à Yoongi.

— « Hyung, si un jour il nous arrive un truc, tu vas nous protéger hein ? »

La question flotta entre eux.

Comme une blague.

Comme un vœu.

Comme une prière.

Yoongi ne répondit pas tout de suite.

Il regarda chacun d'eux, un par un.

Le leader qui pense.

Le clown qui rit.

Le fragile qui ressent trop.

L'extraterrestre qui voit trop.

Le gamin qui croit encore que tout est possible.

L'ainé qui fait semblant de tout supporter.

Sa famille.

— « Oui », dit-il enfin.

Un seul mot.

Mais sa voix était si cassée que Jungkook en eut la gorge serrée.

Ceux qui tracent des plans

Au même moment, dans une pièce sans fenêtre, les hommes du Serpent Noir finissaient leur travail.

Sur un tableau, des lignes reliaient des photos, des horaires, des lieux.

— On connaît leurs trajets du matin, dit l'un d'eux.

— On sait quand ils sortent sans staff, ajouta un autre.

— Les horaires d'entraînement. Les jours d'émission. Les jours où ils ont l'air épuisés.

— Leurs habitudes au dortoir. Les livraisons, les visites.

Le chef se leva.

— Parfait.

Il prit un marqueur noir et encercla le nom de Jungkook.

— Cible prioritaire.

Puis il entoura les autres prénoms.

— Cibles secondaires.

Il recula, observa le tableau comme une œuvre d'art.

— La prochaine fois que le Mulshigan joue au rappeur innocent, il ne saura pas qu'il est déjà en train de marcher au-dessus d'un piège.

Le message

Il était un peu plus de 3 heures du matin quand Yoongi se réveilla en sursaut.

Un bruit dans sa tête.

Un écho.

Une impression de chute.

Il se redressa.

Tout le monde dormait encore autour de lui, éparpillé dans le salon.

Jungkook avait roulé près de lui sans s'en rendre compte, son bras posé sur sa jambe. Jimin dormait la bouche ouverte. Jin ronflait doucement. RM tenait encore son carnet contre lui.

Yoongi les regarda longuement.

Puis son téléphone vibra.

L'écran s'alluma.

Numéro inconnu.

Un seul message.

On sait qui tu es, Mulshigan.

Et on sait qui tu aimes.

Son cœur rata un battement.

Une seconde.

Deux.

Il sentit quelque chose se refermer sur lui.

Comme une main glacée autour de son cou.

Il releva la tête.

Les autres dormaient.

Inconscients.

Innocents.

Il posa sa main sur la tête de Jungkook, sans le réveiller.

Son autre main serrait toujours le téléphone.

Il effaça le message.

Puis il murmura, si bas que même la nuit n'aurait pas dû l'entendre :

— « Si vous tombez… ce sera parce que je vous ai laissés trop près de moi. »

Yoongi s'allongea de nouveau.

Les yeux ouverts.

Le regard perdu dans le plafond.

Il savait qu'une chose venait de changer.

Ce n'était plus seulement une guerre entre gangs.

C'était une guerre entre son monde de sang…

et la seule lumière qu'il ait jamais connue.

Et quelque part, dans l'ombre de la ville…

Ceux qui venaient de signer ce message souriaient déjà.

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