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Chapter 3 - Chapitre 3 : la marche de l'ombre

La nuit avalait la ville comme une bête affamée. L'air était lourd, chargé d'un froid étrange qui ne venait ni du vent ni de la saison.

Au milieu de la rue, un homme avançait en titubant.

Jack.

Ou plutôt… ce qu'il était devenu.

Sa démarche était saccadée, brisée, comme si ses os ne se souvenaient plus comment plier. À chaque pas, son pied raclait le sol dans un bruit sec. Ses épaules se balançaient, son torse tanguait, et son visage, autrefois humain, n'était plus qu'un masque vide. Ses yeux — deux gouffres noirs, profonds, dépourvus d'âme — ne reflétaient aucune lumière.

Il marmonnait entre ses lèvres livides une suite de sons gutturaux, une langue étrangère, incompréhensible, presque reptilienne. Une langue qui semblait froisser l'air lui-même.

Un groupe de jeunes fumeurs, à l'angle d'une ruelle, éclata de rire en le voyant approcher.

— Eh, mec t'es bourré ou quoi ? lança l'un d'eux.

Mais quand Jack leva la tête vers eux… le rire s'étrangla dans leur gorge.

Le premier voulut faire demi-tour. Les autres n'en eurent pas le temps.

À l'autre bout de la ville, Lucie vivait dans un palace.

Une villa luxueuse au style moderne : murs en verre, piscine à débordement, chambre immense où elle empilait des robes hors de prix. Elle passait ses journées à boire, s'amuser, sortir sans jamais se soucier de quoi que ce soit. Elle avait des domestiques, un chef privé, un chauffard attitré. Plus besoin de jouer les femmes parfaites, plus besoin de faire semblant de cuisiner ou de sourire.

Shion lui offrait tout.

Absolument tout.

Et il ne s'arrêtait pas là : il avait investi dans une entreprise qu'elle trouvait "prometteuse".

Lucie adorait cette nouvelle vie.

Elle riait.

Elle brillait.

Elle dépensait sans compter.

Jack, s'il avait encore un cœur, l'aurait senti exploser.

Pendant ce temps, Shion n'était même pas chez elle.

Il se trouvait dans l'appartement d'une de ses maîtresses : une femme riche d'une trentaine d'années, qui l'entretenait comme un jouet de luxe. Shion se rhabillait en sifflotant, comme si sa conscience avait été arrachée depuis longtemps.

Son téléphone vibra.

Une notification apparut : Transaction reçue : 3 000 000 ¥.

Il sourit largement.

— Merci pour tout, dit-il à la femme encore étendue sur le lit.

Il referma la porte derrière lui sans se retourner.

Dans une ruelle obscure, Jack savourait la fin de sa chasse.

Les deux premiers fumeurs étaient déjà étendus au sol, les yeux grands ouverts, figés dans une horreur muette. Le dernier se débattait encore faiblement.

Jack se pencha sur lui.

Sa main se posa sur la poitrine du jeune homme, et une lumière blanchâtre, tremblante, s'extirpa lentement de son corps.

L'âme.

Elle criait sans bruit.

Elle se tordait, essayant de fuir.

Mais Jack la dévora d'un geste lent, presque cérémoniel.

L'homme s'effondra.

Mort.

Jack abandonna la carcasse et fit quelques pas, traînant les pieds.

C'est alors que le téléphone du corps qu'il possédait vibra.

L'écran affichait un message :

— Je veux le divorce.

Rendez-vous demain à l'état civil.

— Miyako

La femme de l'homme qu'il occupait.

Jack cligna lentement des yeux.

Le mot "divorce" n'avait aucune importance.

Le nom "Miyako" encore moins.

Les soucis humains étaient des insectes pour lui, insignifiants et bruyants.

Il continua d'avancer, cherchant un endroit sombre où se reposer.

Son corps commençait à se décomposer légèrement : une odeur étrange montait de sa peau, signe que l'hôte ne pourrait pas durer éternellement.

Il finit par trouver un vieil immeuble abandonné.

Les murs étaient fissurés, les fenêtres brisées, l'air poussiéreux.

Jack poussa la porte d'un coup d'épaule et entra.

L'odeur d'humidité ne le dérangeait pas.

Il se laissa tomber dans un coin, comme une bête qui rentre dans son terrier.

Demain serait un autre jour.

Un jour de chasse.

Un jour de vengeance.

Le lendemain matin, le soleil se leva sur la ville, ignorant que la mort y avait marché pendant la nuit.

Une jeune fille courait sur le trottoir, ses cheveux attachés en une queue haute rebondissant derrière elle. Elle portait l'uniforme impeccable d'une lycéenne : jupe plissée, blazer bleu marine, sac à dos bien rangé.

Elle s'arrêta soudain.

Juste devant le vieil immeuble où Jack se terrait.

Un frisson glacial remonta le long de sa colonne vertébrale.

Elle se frotta les bras, surprise.

— C'était quoi ça… ?

Son regard se posa sur le bâtiment décrépit. Elle plissa les yeux, un instinct inexplicable réveillé en elle.

Mais elle regarda sa montre.

— Aaaah ! Je vais être en retard !

Elle reprit sa course.

Au lycée, elle dut s'excuser auprès du professeur avant d'être autorisée à suivre le cours. Mais son esprit n'était pas là.

Ses pensées revenaient sans cesse à ce frisson étrange.

À la pause, elle se dirigea vers une petite salle.

Une plaque en métal indiquait :

CLUB DES PHÉNOMÈNES PARANORMAUX

Elle entra et soupira.

Elle attrapa une pile de prospectus qu'elle avait imprimés elle-même.

Elle était la seule membre.

La seule convaincue.

La seule qui voulait prouver que les phénomènes étranges étaient réels.

Yukina sortie dans les couloirs pour recruter.

Mais personne ne s'arrêtait.

Personne n'était intéressé.

Elle restait seule.

Encore.

Elle soupira, elle comprenait pas pourquoi les autres croyaient pas au paranormal.

À la fin des cours, elle prit son sac pour rentrer chez elle. Sur la route, elle passa encore près de l'immeuble et son sang se glaça encore. Elle accéléra le pas pour rentrer et le pire pour elle, c'était que son immeuble et cet immeuble était seulement éloigné par deux pâtés de maisons.

Elle rentra et se déchaussa avant de monter sur le Parket. L'appartement de lycéenne sentait le vieux béton. Mais Yukina avait transformé un coin en sanctuaire : une table bancale recouverte du tissu pourpre de sa grand-mère. Là reposaient des cartes O-Fuda jaunies, des baguettes de bambou, et la lourde perle de cristal. L'odeur d'encens et les murmures persistants contrastaient avec le bruit de la télévision voisine. Elle prit quelques livres sur les phénomènes paranormals et parti dans sa chambre.

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