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Chapter 24 - Le carnet que personne n’était censé lire

**Le carnet que personne n'était censé lire**

Noa avait 14 ans et demi.

Il occupait toujours la même place : troisième rang, près de la fenêtre, là où la lumière tombe en biais et où personne ne vient s'asseoir à côté de lui.

À l'école, on l'appelait « le fantôme ».

Parce qu'il ne parlait presque jamais.

Parce qu'il marchait le dos voûté, comme s'il voulait prendre moins de place.

Parce que quand on lui lançait une boule de papier dans le cou, il ne se retournait même pas.

Chaque jour, c'était la même chanson.

« Eh Noa, t'as avalé ta langue ou quoi ? »

« T'es muet ou juste con ? »

« Regardez, le zombie bouge ! »

Il encaissait.

Il baissait la tête.

Et il serrait les dents jusqu'à ce que ça passe.

Mais le soir, dans sa chambre aux rideaux toujours à moitié tirés,

il ouvrait son carnet noir.

Un carnet tout simple, acheté 2 euros à la papeterie du coin.

Couverture rigide, pages blanches, élastique rouge.

Là, il écrivait tout.

Les insultes exactes.

Les visages précis.

Les moments où il avait eu envie de hurler mais où il s'était tu.

Et puis les autres choses.

Celles qu'on ne dit jamais à voix haute.

« Aujourd'hui j'ai imaginé que je disparaissais.

Pas mourir.

Juste… plus être là.

Personne ne m'aurait remarqué.

Ça m'a fait peur.

Et en même temps, ça m'a soulagé. »

« J'aimerais être invisible pour de vrai.

Comme ça, plus besoin de faire semblant que ça ne fait pas mal. »

« Je déteste ma voix.

Elle tremble quand je parle.

Alors je ne parle plus. »

Mme Laurent, la prof de français, trouva le carnet un mardi de novembre.

Il était tombé de son sac, ouvert sur une page où il avait écrit en gros :

« Je suis là.

Mais personne ne me voit.

Et si demain je n'étais vraiment plus là ? »

Elle le lut.

Tout.

Jusqu'à la dernière page.

Le lendemain, elle annula le cours sur les figures de style.

Elle ferma la porte de la salle.

Elle mit une chaise au milieu.

Et elle lut.

À voix haute.

Sans dire le nom de l'auteur.

D'abord les élèves rirent.

Un rire nerveux.

Puis plus rien.

Elle lisait les phrases qu'eux-mêmes avaient prononcées.

Les mots qu'ils avaient jetés comme des cailloux.

Les gestes qu'ils avaient faits sans réfléchir.

Quand elle arriva à la page :

« Je ne suis pas méchant.

Je suis juste fatigué de faire semblant que tout va bien. »

Un garçon au fond baissa la tête.

Une fille se mit à pleurer sans bruit.

Mme Laurent referma le carnet.

Elle le posa sur le bureau.

Elle dit simplement :

« Il est dans cette salle.

Il vous écoute.

Il vous entend tous les jours. »

Silence total.

Le lendemain, personne ne lança de boule de papier.

Personne ne rit dans le dos de Noa.

Certains le regardaient bizarrement.

Certains détournaient les yeux, gênés.

Un garçon, celui qui l'appelait « le zombie » depuis deux ans,

vint s'asseoir à côté de lui à la cantine.

Il ne dit rien.

Il posa juste son plateau.

Et il mangea.

Une fille lui glissa un mot dans son casier :

« Je suis désolée.

Je ne savais pas. »

Noa ne devint pas populaire.

Il ne devint pas le centre du monde.

Mais pour la première fois,

quand il passait dans le couloir,

quelqu'un lui sourit.

Quelqu'un le vit.

Et le soir, dans son carnet, il écrivit une nouvelle page :

« Aujourd'hui, quelqu'un s'est assis à côté de moi.

Il n'a rien dit.

Mais il était là.

Et pour la première fois depuis longtemps,

je n'ai pas eu envie de disparaître. »

**FIN.**

Parfois, il suffit qu'un seul adulte ouvre un carnet

pour que des dizaines d'enfants ouvrent enfin les yeux.

Et parfois,

le silence le plus fort

n'est pas celui qu'on garde.

C'est celui qu'on brise.

🤍

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