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Chapter 2 - Chapitre 2 : Sarah

La chose qui habitait désormais le corps de Sarah se tenait debout, vacillante, à l'arrière du cimetière. Ses jambes tremblaient sous elle, comme si ses os ne savaient plus à quoi servait la gravité. Elle fit un premier pas… et tomba aussitôt, son front heurtant la terre encore fraîche. Elle resta immobile un instant, comme surprise de la douleur, puis se redressa d'un mouvement sec, ses mains à plat sur le sol, telle une marionnette mal remontée.

Elle tenta de marcher encore.

Et retomba.

Puis encore.

Et encore.

À chaque chute, son corps se tordait de façon plus étrange, comme si les muscles apprenaient l'anatomie humaine en imitant ce qu'ils avaient vu sans réellement le comprendre. Une articulation craqua, son cou se plia trop loin, puis se remit en place dans un claquement sec. La petite silhouette avançait dans l'obscurité, trébuchant comme un nouveau-né… mais avec quelque chose d'ancien caché dans ses yeux.

Un son remonta de sa gorge.

Pas un mot.

Pas un cri non plus.

Un mélange de cliquetis, de chuchotements déformés, comme plusieurs voix parlant en même temps, toutes brisées, toutes affamées.

« Shh-rr… ah-ghh… »

Le bruit était si dérangeant que même les chiens du voisinage cessèrent d'aboyer, comme soumis par une vieille terreur instinctive.

Le croque-mort, un homme seul d'une cinquantaine d'années, verrouillait la grille du cimetière. Il s'étira avec lassitude : une longue journée, un dernier dossier à remplir chez lui, puis le lit. Il pensa à Sarah, à son visage paisible dans le cercueil. Une petite, si jeune… Il soupira.

Un bruit sec lui parvint.

Puis un second.

Comme un corps qui tombe.

Il se retourna brusquement. Le vent sifflait entre les pierres tombales, mais il entendit très clairement quelque chose ramper.

Il fronça les sourcils.

Un animal ? Un chat peut-être ?

Mais les chats ne murmurent pas.

Le son répugnant se rapprochait, et son instinct, d'habitude si calme, se serra brutalement autour de sa gorge. La peur. La vraie. Celle qui ne trompe jamais.

D'un pas hésitant, il alluma sa lampe torche et avança. Le faisceau balaya les tombes… jusqu'à s'arrêter net sur une petite silhouette au sol.

Un enfant.

Tordu.

Secoué de spasmes.

Un bras plié derrière le dos, une jambe étrangement retournée vers l'intérieur.

Le croque-mort sentit son cœur manquer un battement.

« Hé… petit ? » tenta-t-il, la voix tremblante. « Qu'est-ce que tu fais là ? Tu es blessé ? »

La chose s'arrêta de trembler.

Puis, très lentement, elle tourna la tête vers lui.

Non pas d'un mouvement humain — mais en pivotant, comme un hibou, jusqu'à aligner son visage parfaitement avec le sien.

Et elle souriait.

Un sourire large, trop large, figé, étiré sur une peau qui n'était plus tout à fait celle d'un enfant.

« Shhh-a… rrr… » murmura-t-elle d'une voix impossible, comme une langue morte raclant le fond de sa gorge.

Le croque-mort sentit sa colonne vertébrale se glacer.

Il recula d'un pas.

Puis d'un autre.

Et il se mit à courir.

La créature poussa un son guttural, ses mains agrippant la terre. Elle se projeta à quatre pattes, comme un animal affamé, grattant le sol avec une vitesse surprenante. Ses ongles s'arrachaient, mais elle continuait, insensible.

L'homme trébucha, tomba au sol, tenta désespérément de ramper vers la sortie.

Sa respiration était un hurlement silencieux.

Il n'eut pas le temps de se retourner.

La chose était déjà sur lui.

Sarah — ou ce qui portait son visage — ouvrit la bouche.

Et sa mâchoire s'élargit.

Plus loin.

Encore plus loin, jusqu'à dévoiler plusieurs rangées de dents fines et tranchantes, comme celles d'un requin miniature.

Elle plongea.

Les dents se refermèrent dans un craquement ignoble, déchirant la chair de la jambe de l'homme.

Le sang gicla en jet chaud et épais.

L'homme tenta de hurler, mais aucun son ne sortit.

Aucun.

Comme si quelque chose l'étouffait de l'intérieur, le privant même de sa propre douleur.

La créature relâcha un instant la jambe arrachée, sa bouche dégoulinante de sang.

Puis, dans un murmure fluide, presque chanté, parlant une langue étrangère et inhumaine, elle prononça une phrase que seul le vent comprit.

— Phtharr-zyl C'thraëb, les Kael-Ghōrms vibrent sur le Tæhn-Vastik

Après cela, elle attrapa la tête de l'homme.

Et la mangea.

Une lueur vive traversa ses yeux, un flash presque électrique.

Puis, comme si une pièce venait de s'emboîter dans un mécanisme, elle releva la tête.

Et parla.

« Nuit… nuit… cimetière… trop… bon… »

Sa voix était glaciale, profonde, un mélange d'enfant et de quelque chose d'ancien, un son qui n'aurait jamais dû sortir d'une gorge humaine

La créature traîna le cadavre, calmement, sans effort apparent.

Elle ramena le corps jusqu'à la tombe d'où elle était sortie.

Elle jeta le corps dedans, y poussa la terre avec ses mains, tapant plusieurs fois comme pour fermer un couvercle. Ses doigts s'enfonçaient dans la terre humide, ramassant de la boue noire, se salissant sans la moindre gêne.

Quand elle eut fini, elle regarda ses mains couvertes de terre et de sang, puis sa robe blanche.

La robe avait pris une teinte rouge sombre sur le bas.

Elle essuya sa bouche avec le revers de sa manche, laissant un long trait sanguinolent.

Attirée par un bruit, elle leva la tête.

La lumière des néons de la rue.

Des couleurs.

Des formes vivantes.

Le monde.

Elle marcha vers la sortie.

L'asphalte était froid sous ses pieds nus. Une voiture arriva trop vite. Le conducteur démarra un freinage violent, les pneus hurlant sur la route.

L'homme sortit, paniqué.

« Oh mon Dieu ! J'ai failli te renverser ! Tu vas bien, petite ? »

Sarah leva les yeux vers lui.

Son visage restait parfaitement immobile.

Seul son sourire bougeait un peu trop.

« Sarah… » dit-elle.

L'homme s'agenouilla.

« C'est ton prénom ? Tu es perdue ? »

« Sarah… » répéta-t-elle de la même voix glaciale.

L'homme, voyant l'apparence de la fille crut qu'elle fut enlevé ou agressé .

Ne sachant pas quoi faire, pris de compassion et persuadé qu'elle était en état de choc, il la fit monter dans sa voiture. Le poste de police était loin, sa maison non. Il décida qu'il l'y emmènerait pour la nuit, le temps de comprendre la situation.

Quand ils arrivèrent, sa femme et sa fille sortirent pour les accueillir, curieuses.

Après une brève explication, la femme invita la petite à entrer, à manger, à se doucher, à se reposer.

Aucun d'eux ne savait ce qu'ils venaient d'accueillir dans leur foyer.

Aucun d'eux ne savait que Sarah était morte.

Et que ce qui passait leur porte n'était qu'une peau empruntée.

Et hungreusement vivante.

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