Cherreads

Chapter 15 - La balançoire qui se souvient

**La balançoire qui se souvient**

Le parc n'avait plus de nom.

Les lettres de l'écriteau étaient parties avec la peinture, rongées par la pluie et le temps.

Seules les balançoires restaient, deux sièges de plastique rouge craquelé, suspendus à des chaînes rouillées qui grinçaient même quand il n'y avait pas de vent.

Léo venait tous les jours.

Neuf ans, les yeux trop grands pour son visage, les cheveux trop longs parce que plus personne ne les coupait.

Il s'asseyait sur la même balançoire, celle de gauche.

Celle d'Émilie.

Avant, ils étaient deux.

Émilie poussait Léo, Léo poussait Émilie.

Leurs rires montaient si haut qu'ils faisaient fuir les pigeons.

Puis la maladie est arrivée, rapide, silencieuse.

D'abord papa.

Puis maman.

Puis Émilie.

Trois cercueils trop petits.

Et Léo seul avec une tante qui ne savait pas parler aux enfants.

Alors il revenait ici.

Tous les jours.

Il s'asseyait.

Il attendait.

Ce jour-là, la brume était si épaisse qu'on ne voyait plus les arbres.

Le monde entier semblait avoir été effacé au chiffon humide.

Léo était là, immobile, les pieds qui ne touchaient plus terre depuis longtemps.

Ses mains serraient les chaînes comme on serre une main qu'on ne veut pas lâcher.

Et puis ça a commencé.

Un léger balancement.

D'avant en arrière.

Lent.

Régulier.

Comme si quelqu'un, derrière lui, avait posé ses mains sur son dos et poussait doucement.

Léo n'a pas eu peur.

Il a fermé les yeux.

Un sourire immense est monté sur son visage.

Un rire a jailli.

D'abord le sien.

Puis un autre.

Plus aigu.

Plus léger.

Celui d'Émilie.

Le rire de sa sœur.

La balançoire a pris de la vitesse.

Les chaînes chantaient.

La brume tournoyait autour de lui comme une robe de mariée en lambeaux.

« Plus haut ! » a crié Léo.

« Plus haut ! » a répondu la voix d'Émilie, venue de nulle part et de partout.

Il riait.

Il riait comme avant.

Comme quand ils étaient vivants tous les deux.

Dans la brume, des silhouettes se dessinaient.

Papa.

Maman.

Émilie.

Debout.

Immenses.

Ils ne bougeaient pas.

Ils regardaient.

Ils souriaient.

Léo ne les voyait pas.

Il n'avait pas besoin.

Il sentait leurs mains.

Il sentait leur amour.

Il sentait qu'il n'était plus seul.

La balançoire montait si haut qu'on aurait dit qu'elle allait toucher le ciel gris.

Et plus elle montait, plus le rire de Léo devenait pur, absolu, enfantin.

Quand la balançoire s'est enfin arrêtée,

le silence est revenu.

La brume s'est refermée.

Les silhouettes ont disparu.

Léo est descendu.

Il a essuyé ses larmes, mais il souriait encore.

Un vrai sourire.

Le premier depuis des mois.

Il a murmuré, tout bas :

« À demain, Émilie. »

Et il est parti.

Léger.

Comme si quelqu'un marchait à côté de lui.

Dans le parc désert, la balançoire de droite s'est mise à grincer doucement.

Toute seule.

En attendant le prochain jour.

**FIN.**

Parfois, les morts ne partent pas vraiment.

Ils restent là où on riait le plus fort.

Et ils poussent encore la balançoire,

quand on a trop mal pour le faire soi-même.

More Chapters