L'écho du dernier rire
Je m'appelle Nael.
Mon petit frère, Eli, est parti un matin où le soleil refusait de se lever.
Depuis, chaque rayon de lumière me semble faux —
trop pâle, trop vide, trop silencieux.
Eli riait fort.
Un rire clair, presque trop grand pour son corps d'enfant.
Il disait souvent que le monde était une immense salle de jeu,
où il fallait laisser des traces de joie partout.
Et moi…
je n'ai laissé que du silence.
Je me souviens d'un après-midi banal.
Eli était assis sur le rebord de la fenêtre, les pieds qui balançaient dans le vide.
Il triturait toujours le même petit bout de ficelle que j'avais oublié sur la table.
— Tu crois que ça peut devenir un dragon ?
— Un dragon ? demandai-je, à moitié amusé.
— Oui ! Il faut juste un peu d'imagination.
Il roulait la ficelle entre ses doigts, soufflait dessus,
et me regardait comme s'il tenait le secret du monde.
C'était idiot.
C'était lui.
Un autre souvenir.
Un caillou, minuscule, qu'il avait nommé Roi Pierre.
Il l'avait posé dans le jardin.
— Il a faim, il faut lui donner de l'herbe.
Et il avait passé dix minutes à le nourrir, très sérieux, comme s'il s'agissait d'un être vivant.
Je me moquais de lui,
mais au fond, j'aimais ce regard qu'il posait sur tout :
comme si rien n'était trop petit pour être aimé.
Je me rappelle aussi ses rituels étranges.
Les chaussettes, toujours rangées par couleur.
Sinon, il ne pouvait pas dormir.
Et quand je l'aidais, il me lançait ce petit sourire fier,
celui qui disait "on a gagné encore une bataille contre le désordre du monde".
Puis vient ce souvenir.
Celui que je n'arrive plus à raconter sans trembler.
C'était un soir d'été.
Le ciel s'était teinté d'or et de bleu.
Eli courait pieds nus dans le jardin, hurlant de rire,
les bras écartés comme pour voler.
Il s'est arrêté net, m'a regardé et a dit :
— Regarde, Nael ! On est deux oiseaux !
Et il a levé les bras vers le ciel,
comme si vraiment, il allait s'envoler.
Je me souviens du vent dans ses cheveux.
Du soleil dans ses yeux.
De son rire, immense, éclatant.
Et de ce silence, après.
Ce silence que rien, depuis, n'a réussi à combler.
Je serre la tête entre mes mains.
Les souvenirs me brûlent.
Je voudrais qu'ils cessent.
Je voudrais qu'ils reviennent.
…Alors, je l'appelle.
Encore.
Encore.
— Reviens, Eli… s'il te plaît… reviens…
Mais personne ne répond.
Juste le vent, qui souffle dans le cerisier.
Alors je fais ce qu'il m'a appris.
J'imagine.
Dans mon monde, Eli n'est jamais parti.
Il court encore sous les branches, les chaussettes mal assorties,
avec son caillou-roi dans une main,
et son dragon de ficelle dans l'autre.
Il rit, fort.
Et moi, je ris aussi.
Je sais que tout le monde finira par l'oublier.
Il est parti trop jeune, il n'a rien accompli de grand, rien qui reste.
Peut-être qu'un jour, plus personne ne se souviendra de son nom.
Mais moi, je me souviendrai.
Et ça suffira.
Parce qu'il a existé pour moi.
Et pour ça… c'est déjà assez.
Fin...