**Le côté qu'elle aimait**
Je ne choisis pas de sourire le matin.
Je le reproduis.
Métro, 7 h 43.
Je mets l'écouteur droit.
Le gauche pend, mort depuis deux ans.
Le fil est tordu exactement comme elle le laissait quand elle tirait dessus pour m'embêter.
Elle disait toujours :
« Le gauche, c'est mon côté.
C'est là que je t'entends mieux. »
Je n'ai jamais changé les écouteurs.
Même quand le caoutchouc s'est fissuré.
Même quand plus aucun son n'en sort.
Je les garde.
Les deux.
Dans le métro, personne ne remarque.
Les gens parlent, rient, vivent.
Moi je reste debout, une main dans la poche, l'autre qui tient la barre.
L'écouteur gauche se balance parfois, tout seul.
Comme si une main invisible le retenait.
Je sais que c'est le vent.
Je sais que c'est rien.
Mais je ferme les yeux quand même.
Je sens le fil se tendre légèrement.
Comme avant.
Comme quand elle tirait dessus pour me faire tourner la tête.
Je n'ai pas pleuré à l'hôpital.
Elle détestait ça.
Elle disait que mes larmes éteignaient la lumière.
Alors j'ai gardé la lumière.
Et j'ai gardé le silence.
Dans le noir de ma chambre, le soir, je les remets.
Les deux écouteurs.
Je lance la playlist qu'on écoutait ensemble.
Le droit marche encore.
Le gauche reste muet.
Je pose quand même le gauche dans mon oreille.
Je ferme les yeux.
Et j'attends.
Parfois le fil bouge.
Parfois il frôle ma joue.
Parfois j'ai l'impression que quelqu'un respire tout près.
Je ne cherche plus le son.
Je cherche la présence.
Le vide qu'elle a laissé dans le côté gauche de ma tête.
Je sais qu'elle n'est plus là.
Je sais que c'est moi qui tiens le fil maintenant.
Je sais que c'est moi qui le fais bouger.
Mais tant pis.
Je garde le côté qu'elle aimait.
Je le garde vide.
Je le garde pour elle.
Parce que c'est le seul endroit où elle peut encore s'asseoir.
Et parfois,
dans le silence absolu,
je l'entends rire.
Très bas.
Tout près.
Juste à gauche.
Et je souris.
Pour de vrai.
Pour la première fois de la journée.