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Chapter 4 - Dernier Train pour Minuit

Chapitre 1 Dernier Train pour Minuit

Léo avait 27 ans et la vie coulait en lui comme une eau tiède qui ne déborde jamais.

Il se levait à 8 h 12, jamais avant, jamais après.

Douche rapide, café noir dans le même mug fendu, deux sucres.

Métro ligne 7, place toujours libre au même endroit parce qu'il arrivait pile quand les gens descendaient.

Bureau 9 h 03, salut à personne, casque sur les oreilles, Excel ouvert avant même d'enlever son manteau.

Ses collègues l'appelaient « l'horloge ».

Pas parce qu'il était ponctuel, non.

Parce qu'il faisait toujours exactement la même chose, au même rythme, sans jamais dévier d'un millimètre.

Le soir, c'était le même chemin en sens inverse.

Courses au Franprix du coin (une barquette de sushis, une bière, parfois un paquet de chips goût barbecue).

Appartement au cinquième sans ascenseur.

Canapé.

Netflix.

Endormi avant la fin de l'épisode.

Les week-ends étaient pires.

Il les passait à « récupérer ».

C'est-à-dire à dormir jusqu'à 14 h, à faire défiler les réseaux, à se dire « demain je sors ».

Demain ne venait jamais.

Il avait des amis, quelque part.

Des messages non lus qui s'accumulaient :

« Ça va fréro ? »

« Soirée samedi, tu viens ? »

Il répondait toujours la même chose :

« Grave, je te tiens au courant. »

Et il ne tenait jamais personne au courant.

Sa mère appelait le dimanche.

Toujours la même conversation.

« Tu manges bien ? Tu vois du monde ? Tu penses à venir ? »

Il répondait oui à tout, d'une voix plate.

Quand il raccrochait, il se sentait vide, mais ça durait dix minutes.

Après, il remettait ses écouteurs.

Parfois, tard le soir, il ouvrait une vieille boîte à chaussures sous son lit.

Dedans : des photos de lycée, un bracelet brésilien décoloré, une lettre jamais envoyée à une fille qui s'appelait Camille.

Il regardait deux minutes.

Puis il refermait la boîte et se disait : « Un jour je ferai quelque chose de ma vie. »

Un jour.

Le vendredi 13 octobre, il a raté le métro de 18 h 47.

Pour la première fois depuis des années.

Il a dû attendre le suivant, celui de 19 h 12.

Il est arrivé en retard au Franprix.

Il n'y avait plus de sushis saumon.

Il a pris thon à la place.

Il s'est senti bizarre toute la soirée.

Comme si quelque chose avait bougé sans qu'il sache quoi.

Ce soir-là, il n'a pas ouvert Netflix.

Il est resté assis sur le balcon, à regarder les lumières de la ville.

Il a pensé à Camille.

À la lettre jamais envoyée.

Au voyage qu'il voulait faire au Japon à 20 ans.

Au groupe de musique qu'il avait monté avec ses potes et qu'il avait quitté après trois répètes.

Il a eu mal au ventre.

Pas une douleur physique.

Une douleur plus ancienne.

Il s'est dit : « Demain, je change quelque chose. »

Demain.

Mais demain, il s'est réveillé à 8 h 12.

Et tout a recommencé.

Sauf que ce soir-là, il a pris le dernier métro.

Celui de minuit.

Celui qu'il n'avait jamais pris de sa vie.

Il ne savait pas encore que c'était le dernier train.

Et que ce n'était pas une ligne de métro.

C'était la ligne de sa vie.

Et elle venait de le rattraper.

A suivre...

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