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Chapter 9 - Le goût salé

Chapitre 1 – Le goût salé

Je compte les jours sans rire.

Quatre cent vingt-sept.

Je les note au crayon sur le calendrier de la cuisine, juste à côté de la tache de café que Milo avait faite en 2019.

Je n'ai jamais effacé la tache.

Je n'efface rien.

Le matin, je me réveille avant le réveil.

Je regarde le plafond.

Je compte les fissures.

Il y en a trente-deux.

Elles n'ont pas bougé depuis quatorze mois.

Je bois mon café dans la tasse qu'il détestait.

Trop petite, il disait.

Je la prends exprès.

Pour qu'il râle encore un peu dans ma tête.

Dans ma tête.

Je n'ai pas touché à sa chambre.

La porte reste fermée.

Parfois je colle mon oreille contre le bois.

J'écoute.

Rien.

Évidemment.

Dans le métro, je mets toujours le même manteau.

Celui qui sent encore un peu son parfum à lui, mélangé à l'odeur de cigarette froide.

Je ferme les yeux.

Je respire fort.

Je vole les dernières molécules.

Au bureau, on me parle doucement.

Comme si j'étais en verre.

Je souris avec la bouche seulement.

Ils croient que ça suffit.

Le soir, je rentre.

Je pose mes clés dans le vide-poches où il y a encore ses clés à lui.

Je les fais tinter.

Un petit coucou métallique.

Je réponds « salut » à voix haute.

Personne ne m'entend.

Tant mieux.

Hier, j'ai trouvé une algue séchée dans la poche intérieure de mon sac.

Je ne sais pas d'où elle vient.

Je l'ai mise sur la table.

Je la regarde tous les soirs.

Elle sent encore la mer.

Ce matin, j'ai ouvert le frigo.

Il restait une canette de Monaco bière-panaché.

Sa marque préférée.

Je l'ai prise.

Je l'ai secouée.

Elle était plate depuis longtemps.

J'ai bu quand même.

Ça avait le goût du vide.

J'ai regardé le calendrier.

Quatre cent vingt-sept jours.

J'ai pris un feutre noir.

J'ai entouré la date d'aujourd'hui trois fois.

J'ai mis mes chaussures.

Celles qui grincent encore parce qu'il avait marché dedans avec du sable.

J'ai pris mon sac.

J'ai laissé un mot sur la table, au cas où :

« Je vais te rendre ton rire, connard. »

J'ai fermé la porte sans la claquer.

Dans le train de 10 h 17, j'ai pris la place côté fenêtre.

J'ai regardé la ville s'éloigner.

J'ai senti l'air salé me brûler la gorge bien avant d'arriver.

Je descends à la dernière station.

La plage est là.

Exactement la même.

Sauf qu'il manque un corps à côté du mien.

Je murmure, la voix râpeuse :

« J'arrive, Milo.

Prépare-toi.

Je viens te rapporter ce qui t'appartient.

Et je viens aussi le garder pour moi.

À suivre…

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