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Chapter 13 - Le Café des Souvenirs Effacés

**Le Café des Souvenirs Effacés**

Il existe, dans une ruelle que personne ne remarque jamais, un petit café qui n'a pas de nom sur la porte.

Juste une ardoise : « Une tasse = un souvenir effacé. »

On n'y entre que si on a vraiment mal.

Et on n'en ressort jamais tout à fait pareil.

Je m'appelle Elias.

J'ai vingt-deux ans et je suis entré là-dedans un mardi de novembre, trempé jusqu'aux os, le cœur en miettes.

Elle s'appelait Noa.

Elle m'avait quitté trois semaines plus tôt.

Sans cris.

Juste un « Je ne t'aime plus comme avant » et un baiser sur la joue qui sentait la fin du monde.

Je n'arrivais plus à dormir.

Je revivais chaque seconde : son rire dans la cuisine, ses doigts dans mes cheveux, la façon dont elle disait « mon amour » comme si c'était une prière.

Je voulais oublier.

Tout oublier.

Le café était presque vide.

Une vieille dame derrière le comptoir, cheveux blancs, yeux très doux.

Elle m'a servi une tasse fumante sans que je dise un mot.

L'odeur était indéfinissable : un mélange de pluie, de vieux livres et de peau chaude.

« Tu choisis le souvenir ? » m'a-t-elle demandé.

J'ai hoché la tête.

« Le premier baiser. Sur le pont, le 14 février. »

Elle a souri tristement.

« C'est toujours le premier qu'on veut effacer en premier. »

J'ai bu une gorgée.

La tasse était tiède, presque vivante.

Et soudain, le souvenir s'est effacé.

Le goût de ses lèvres.

Le vent froid.

La neige qui tombait doucement.

Plus rien.

Je me suis senti… léger.

Vide, mais léger.

Alors j'ai commandé une autre tasse.

« Le jour où elle m'a dit je t'aime pour la première fois. »

Bu.

Effacé.

Une troisième.

« La nuit où on a dormi enlacés sous la couette, à écouter la pluie. »

Bu.

Effacé.

Je continuais.

Tasse après tasse.

Chaque souvenir d'elle s'envolait comme une fumée.

Je ne ressentais plus la douleur.

Je ne ressentais plus rien.

À la dixième tasse, j'ai levé les yeux.

La vieille dame me regardait avec une tristesse immense.

« Tu vas tout oublier d'elle, tu sais.

Et quand tu ne te souviendras plus pourquoi tu es venu ici…

tu ne sauras plus pourquoi tu es triste.

Mais tu seras triste quand même. »

J'ai haussé les épaules.

« C'est le but, non ? »

J'ai bu la dernière gorgée.

Et là, plus rien.

Je ne savais plus son prénom.

Je ne savais plus à quoi elle ressemblait.

Je ne savais même plus que j'avais aimé quelqu'un.

Je suis sorti dans la ruelle.

Il pleuvait.

J'ai marché sans savoir où aller.

J'avais le cœur vide.

Mais étrangement… lourd.

Et puis, au coin d'une rue, j'ai croisé une fille.

Elle m'a souri.

Un sourire qui m'a fait mal sans que je sache pourquoi.

Elle s'est approchée.

« Elias ? Ça va ? Tu as l'air perdu. »

Je l'ai regardée.

Ses yeux verts.

Ses cheveux mouillés par la pluie.

Sa voix douce.

Et quelque chose en moi a remué.

Un vide immense.

Une douleur sans nom.

J'ai murmuré :

« Je te connais ? »

Elle a pâli.

Elle a reculé d'un pas.

Les larmes sont montées.

« C'est moi… Noa. »

Je n'ai rien ressenti.

Rien du tout.

Elle a pleuré.

Elle a fui.

Et moi, je suis resté là, sous la pluie,

à essayer de me souvenir pourquoi j'avais si mal

sans savoir que c'était à cause d'elle.

Je n'ai jamais retrouvé le café.

Je cherche encore.

Tous les jours.

Parce que maintenant,

je veux me souvenir.

Je veux avoir mal pour de vrai.

Je veux retrouver chaque seconde que j'ai effacée.

Mais c'est trop tard.

Je ne sais même plus pourquoi je pleure.

**Conclusion**

On croit que l'oubli est une délivrance.

On croit qu'effacer la douleur nous rend libre.

Mais le cœur, lui, n'oublie jamais complètement.

Il garde une empreinte, une cicatrice invisible, un creux qui fait mal sans raison.

J'ai effacé Noa de ma mémoire.

Mais je n'ai pas effacé l'amour.

Il est resté là, fantôme sans visage,

à me hanter tous les jours.

Et quelque part, dans une ruelle que je ne retrouverai jamais,

une vieille dame verse encore des tasses.

Elle sait.

Elle sait que ceux qui veulent oublier

finissent toujours par revenir.

Mais la porte reste fermée.

Parce que certains souvenirs,

une fois effacés,

ne reviennent jamais.

Et l'amour, même sans nom,

continue de faire mal.

**FIN.**

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