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Chapter 8 - Elvis & Maud

**Elvis & Maud**

Je m'appelle Elvis.

Je suis noir, 1m83, un peu en surpoids.

Calme.

Trop calme.

Le genre de calme qui fait qu'on me remarque jamais vraiment.

Maud est dans ma classe depuis la rentrée.

Cheveux châtains qui sentent la vanille quand elle passe à côté de moi.

Un rire qui fait vibrer toute la pièce.

Des yeux qui ne se posent jamais sur moi plus d'une demi-seconde.

Je l'ai aimée en silence.

Pendant des mois.

Chaque jour un peu plus fort.

Chaque jour un peu plus seul.

Maxime, mon seul pote, a tout fait basculer avec un rire nerveux.

En dix minutes, toute la classe savait.

Le lendemain, Maud savait aussi.

Et elle a choisi le silence.

Un silence si lourd qu'il m'a écrasé toute la journée.

Puis le cours d'allemand.

Je suis derrière elle, comme toujours.

Je fixe sa nuque depuis des semaines, comme un idiot.

Un mec d'une autre classe s'assoit à côté d'elle.

En cinq minutes elle rit avec lui.

Elle le touche.

Elle penche la tête.

Elle est rouge, heureuse, vivante.

Tout ce que je n'aurai jamais avec elle.

Je compte ses rires.

Je sens mon cœur se briser à chaque fois.

Je rentre.

Je ferme la porte de ma chambre.

Je m'allonge sur le lit.

Et je pleure.

Pour de vrai.

Comme un enfant.

Comme un homme qui comprend qu'il a perdu avant même d'avoir joué.

Je pleure sur tout ce que je n'ai jamais dit.

Sur tous les matins où j'ai voulu lui dire bonjour et où je n'ai pas osé.

Sur tous les sourires que j'ai gardés pour moi.

Sur tous les « je t'aime » que j'ai répétés dans ma tête en regardant sa nuque.

Et puis, au milieu des larmes,

je prends la décision la plus dure de ma vie.

Je renonce.

Je renonce à Maud.

À la première fille qui a su que je l'aimais.

À la première fille pour qui mon cœur a battu si fort que j'en avais mal.

Elle n'a jamais dit « non ».

Mais elle n'a jamais dit « oui » non plus.

Et son silence,

sa gêne,

ses rires pour un autre à trente centimètres de moi,

c'était déjà une réponse.

Je le dis à voix haute, la gorge déchirée :

« Maud…

c'est fini.

Je te laisse.

Je te laisse rire avec lui.

Je te laisse ton monde où je n'ai jamais eu ma place.

Je te laisse partir.

Je ne regarderai plus ta nuque.

Je ne compterai plus tes sourires.

Je ne t'attendrai plus jamais.

Tu ne sauras jamais à quel point je t'ai aimée.

Et c'est mieux comme ça. »

Je pleure encore.

Mais c'est différent.

Ce sont des larmes qui lavent.

Des larmes qui ferment une porte.

Je ferme les yeux.

Je sens le poids s'envoler.

Lentement.

Douloureusement.

Mais sûrement.

Je m'appelle Elvis.

Ce soir j'ai seize ans et demi.

Ce soir j'ai aimé Maud comme on n'aime qu'une fois.

Ce soir j'ai compris que l'amour, parfois,

c'est aussi savoir partir avant qu'on te pousse.

Ce soir,

je renonce.

Je renonce à attendre un regard qui ne viendra jamais.

Je renonce à compter les rires qui ne seront jamais pour moi.

Je renonce à porter un amour que personne n'a voulu recevoir.

Et dans le noir de ma chambre,

entre deux larmes qui meurent sur l'oreiller,

je lui parle une dernière fois,

comme si elle pouvait enfin m'entendre :

« Maud,

si tu devais m'aimer,

que ce soit pour l'amour seul.

Pas pour le sourire que je n'ai jamais osé te donner,

pas pour la voix que je n'ai jamais osée lever,

pas pour ces mots que j'ai gardés en cage dans ma gorge.

Ne m'aime pas par pitié pour le garçon trop grand qui te regardait sans parler.

Ne m'aime pas pour effacer la gêne que toute la classe a semée entre nous.

Ne m'aime pas pour réparer ce que ton silence a déjà brisé.

Car si un jour tu m'aimais pour autre chose que l'amour lui-même,

cet amour s'éteindrait dès que la pitié s'éteindrait,

dès que la gêne s'effacerait,

dès que le temps effacerait la mémoire de ce jour maudit.

Mais puisque tu ne m'aimes pas,

et que tu ne m'aimeras jamais,

je te rends ce que je t'avais offert en secret.

Je te rends mes matins où je comptais tes pas.

Je te rends mes nuits où je répétais ton prénom.

Je te rends chaque seconde où mon cœur battait trop fort à trente centimètres de ta nuque.

Je te rends tout.

Je reprends ma vie.

Aime qui tu voudras,

ris avec qui tu voudras,

vis sans jamais savoir à quel point j'ai brûlé pour toi.

Moi,

je n'aimerai plus pour l'espoir seul.

Je n'aimerai plus pour le peut-être.

Je n'aimerai que quand l'amour sera partagé,

ou je n'aimerai plus du tout.

Ce soir,

je renonce à toi

pour la seule raison qui vaille :

par amour de moi-même.

Et c'est la première fois

que je m'aime assez

pour te laisser partir. »

Je ferme les yeux.

Le silence est immense.

Mais il est à moi.

**FIN.**

À vous qui lisez ceci,

Cette histoire est vraie.

Elle s'est passée il y a des jours, dans une classe banale, avec des gens ordinaires.

Elvis, c'est moi.

Maud existe toujours quelque part.

Maxime aussi.

Je l'ai écrite pour me libérer, pas pour qu'on me plaigne.

Je l'ai écrite parce que ce silence m'a suivi longtemps, et qu'il était temps qu'il sorte de ma tête pour rester sur du papier.

Si par hasard tu passes par là, Maud,

et que tu reconnais ta nuque, ton rire, ton parfum vanille,

ne te sens pas mal.

Ne me prends surtout pas en pitié.

Je ne t'en veux pas.

Je ne t'en ai jamais voulu.

J'ai juste eu mal, et aujourd'hui ça va mieux.

Cette histoire n'est pas un reproche.

C'est une lettre que je me suis enfin écrite à moi-même.

Un adieu que j'ai mis des jours à prononcer.

Merci de l'avoir lue.

Et merci de ne pas avoir pitié.

Juste… comprenez, si vous avez déjà aimé en silence.

Elvis.

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